Improvisation.
Une sortie de cours. Il a fallu expliquer encore aux élèves pourquoi j'ai décidé de partir. Certains sont déçus, d'autres vexés, se sentent abandonnés. Puis beaucoup s'en balancent. Je ferme la porte à clé derrière moi, je reproduis les mêmes gestes depuis trois ans. Il y a en moi ce soulagement de fin de journée quand j'avance dans le couloir en faisant claquer mes talons au sol. Une légerté. Je dépose mes clés au secrétariat, je discute encore avec le surveillant, qui me regarde comme s'il me voyait pour la dernière fois. C'est vrai, vendredi matin, je donnerai mes dernières heures de cours. Puis je sors dans la rue, la chaleur du bitume remonte le long de mes jambes nues. Je relève mes cheveux haut sur ma nuque. Chaleur étouffante depuis plusieurs jours. J'aime cette moiteur. La menace toujours suspendue au-dessus de nos têtes d'un orage. Quelque chose d'imminent. Mon téléphone vibre dans mon sac. Je suis conviée par R. à venir le rejoindre sur une terrasse. Encore les talons qui claquent au sol. Quelques centaines de mètres plus loin, je l'aperçois entouré d'élèves. Je m'installe avec eux, le temps d'une mousse, le temps de réaliser aussi que j'ai vraiment envie de rentrer chez moi et que leurs histoires de collants fillés et de pourboire pas laissé me passe très loin au-dessus. Je me lève pour partir et les élèves insistent pour me faire la bise "vous nous devez bien ça, on vous verra plus". Tournée de bisous pour tout le monde. R.vide sa bière et me raccompagne. Sur le chemin, il fait le clown, comme il a su le faire pendant trois ans.
Il m'invite à boire encore une bière sur la terrasse en bas de chez moi, où nous avons maintenant nos habitudes tous les deux. Il me répète encore à quel point je vais lui manquer, le vide que va créer mon départ. "je sais, ça va pas être facile pour moi non plus". Nous reparlons de la mauvaise humeur permanente de notre collègue P. et des boulettes qu'il accumule en ce moment. Nous reparlons aussi de cet incident dans ma salle de cours mardi, un portable avait été volé et avant la sonnerie le directeur a obligé plusieurs personnes à fouiller les sacs. (J'avais été scandalisée par la pratique de celui qui nous met en permanence ces trente années d'expérience sous le nez et j'avais quitté ma propre salle de cours). Nous buvons une autre bière et encore une. Je suis étonnée de voir cette "endurance" que j'ai développée. Arrivent Neb homme de moi et Mat' qui me convient à une soirée resto improvisée avec la copine de ce dernier que je n'ai jamais vue. Encore une bière pour attendre que la méchante averse qui nous tombe sous le nez se calme. R. rentre chez lui. Sur le trottoir, les rigoles de l'averse mouillent mes doigts de pieds.
Un peu plus tard, assise dans un restaurant avec les deux gaillards et Mademoiselle J. : le repas fut bon, mais les discutions inintéressantes se succèdent. Je m'ennuie encore. J'ai mal aux dents. La serveuse est jolie. Crême brûlée aux framboises en dessert. Un sourire, on décolle et la soirée se termine devant une émission du cultissime Jean-Luc. J'aime ces journées d'été où l'on ne prévoit rien et tout se tricote tout seul. Ce soir d'ailleurs, une surprise de départ me pend au nez. P. et R. m'ont simplement donné rendez-vous sur notre terrasse, je ne dois pas mettre de baskets et être disponible toute la nuit. J'aime les surprises. D'ici là, encore un gros chèque à faire au garage, un détour chez le dentiste et à la SPA.